Patrimoine  Spirituel  de l'Humanité


Descartes :

La psychophysiologie
«La plus haute et la plus parfaite morale» présuppose une entière connaissance des autres sciences ; n'exige-t-elle pas, en effet, une entière connaissance de l'homme et des rapports qu'il entretient avec le monde et avec Dieu ?

L'union de l'âme et du corps



Or, la métaphysique nous fait connaître l'âme, et la physique le corps humain ; mais nous ne saurions comprendre les sentiments et les appétits, reconstituer le «vrai homme», si nous ne supposions pas que l'âme est jointe et unie étroitement avec le corps ; ainsi le corps agit sur l'âme dans la sensation et la passion, et l'âme sur le corps dans l'acte volontaire. Conception obscure, certes, puisqu'il n'y a rien de commun entre leurs deux natures ; seule la toute-puissance de Dieu peut expliquer cette union.

L'âme est liée au corps par l'intermédiaire de la glande pinéale. Celle-ci est mue par les «esprits animaux» qui sont projetés vers elle, quand les objets extérieurs frappent nos sens ; ces mouvements de la glande peuvent d'ailleurs se reproduire, en l'absence de tout objet, par suite des traces que les esprits ont laissées dans le cerveau.

Passions et volonté



Dans les dernières années de sa vie, Descartes relègue au second plan la métaphysique et les sciences spéculatives pour explorer plus à fond la sphère de l'union de l'âme et du corps et pour esquisser ainsi une morale qui n'a assurément pas la forme ni même la cohérence qu'il avait conçues pour elle. Les lettres de Descartes à la princesse Élisabeth (écrites à partir de 1643) permettent de voir cette morale s'organiser progressivement, en intégrant de nombreux éléments des morales de l'Antiquité, mais ajustés à la philosophie cartésienne de telle sorte qu'ils en expriment aussi la signification essentielle. À cette occasion, Descartes est amené à composer les Passions de l'âme , traité publié au début de 1649, dans lequel il cherche à expliquer «en physicien» et non en moraliste les différentes façons dont le corps peut, par le mécanisme indépendant de ses fonctions, engendrer dans l'âme des passions, c'est-à-dire des émotions qui l'agitent et l'ébranlent.

Les passions sont produites par quelque agitation des esprits ; toutes sont des variantes ou des combinaisons des six passions primitives : admiration (étonnement), amour et haine, joie et tristesse, désir. La volonté peut contrarier leur libre jeu en dirigeant, par exemple, l'attention vers un objet contraire à celui de la passion ; par là même, elle n'ajoute rien aux mouvements de la glande pinéale, mais elle change leur direction et, par suite, influe sur le cours des esprits. Cette influence est sans limites, car notre volonté est infinie, c'est-à-dire absolument libre : nous en avons le sentiment, et, de plus, l'existence même de l'erreur prouve le libre arbitre ; l'erreur ne consiste-t-elle pas à faire mauvais usage de la liberté en adhérant à des idées obscures et confuses ?

Les grandes lignes d'une morale


Descartes n'a pas eu le temps — ou peut-être l'intention — de développer sa morale. Il nous a donné seulement les matériaux d'une morale «définitive», semblable, pour l'essentiel, à la morale qu'il s'était formée «par provision» dès 1618.

Seule la raison peut nous conseiller, en toute circonstance, ce que nous devons faire ; la ferme et constante résolution de l'exécuter, telle est la vertu. Pendant que nous nous conduisons ainsi, certains biens nous échappent-ils ? Considérons-les comme inaccessibles, et accoutumons-nous à ne pas les désirer.

Cette apologie de la volonté traduit, chez Descartes comme chez Corneille, le goût de l'époque pour l'énergie individuelle et pour un ordre raisonnable. Elle implique une mise en garde contre les passions ; la lutte à mener revêt un double aspect, intellectuel — nous l'avons vu plus haut — et médical : par l'hygiène, par une nourriture appropriée, on peut modérer l'agitation des esprits animaux.

Il ne s'agit pas, cependant, d'extirper toutes les passions ; certaines sont utiles, car elles nous font sentir la vraie valeur des choses ; elles contribuent à la douceur et à la félicité de la vie. Ajoutons que l'âme a ses passions propres, qui ne viennent pas du corps : telle la «générosité» ou conscience que prend l'homme de la vertu ; tel l'«amour intellectuel» qui l'attache «au tout dont [il] est partie», par exemple à son pays, et plus encore à Dieu, dont il dépend le plus entièrement.

Ainsi, l'homme arrive, par des procédés qui rappellent beaucoup plus le paganisme stoïcien ou épicurien que le christianisme, à la souveraine béatitude, au plus grand «contentement» qu'il lui soit donné d'atteindre.
L'influence du cartésianisme
De très bonne heure, le cartésianisme remporte, malgré les persécutions, un succès éclatant ; il se répand rapidement dans l'Europe entière. Un tel succès serait incompréhensible si l'on ne voyait pas dans cette philosophie nouvelle l'expression d'un monde nouveau, du monde moderne enfanté par la Renaissance. À l'époque des premières manufactures, Descartes prévoit l'essor grandiose de la technique et de la science, intimement liées entre elles ; instruit des récentes découvertes scientifiques, savant lui-même, il formule les règles de la méthode et fournit à ses successeurs l'instrument mathématique indispensable à leurs recherches ; il oriente la physique et la biologie, la psycho-physiologie dans la voie du mécanisme.

Est-ce à dire que rien ne subsiste chez lui de l'ancienne philosophie ? On a vu, au contraire, les oscillations qui se produisent dans sa pensée entre la science et la métaphysique, et qui aboutissent au fameux «cercle cartésien». Mais la métaphysique cartésienne présente des caractères originaux : elle réduit au minimum le rôle de Dieu dans la création ; elle nous assure que nous pouvons connaître parfaitement un monde d'où les fantômes de la scolastique ont été expulsés.

Telle qu'elle est, pourtant, elle implique une conception du monde souvent différente de celle que la physique entraîne : entre l'âme et le corps, il y a une différence de nature, une opposition rigide ; mais, d'un autre côté, ils ne cessent d'agir l'un sur l'autre ; le Cogito est la première vérité, mais d'un autre côté, le monde matériel existe indépendamment de notre esprit. La contradiction qui se manifeste au sein de la science elle-même, entre mathématiques et physique, raisonnement pur et expérience, vient mêler ses effets à ceux du conflit qui oppose la métaphysique et la science : si toute idée claire est vraie, nous pouvons croire que l'âme est immatérielle, et qu'il existe un Dieu.

Malebranche, Leibniz et Spinoza résoudront — l'un par la «vision en Dieu», l'autre par l'harmonie préétablie, le troisième par sa «substance» unique — les problèmes que pose le dualisme cartésien, le parallélisme irréductible de la «substance pensante» et de la «substance étendue». D'une façon générale, le double courant, idéaliste et matérialiste, qui caractérise la philosophie moderne, est issu en grande partie de Descartes : Leibniz, puis Kant et ses successeurs réduiront le monde à la pensée ; Spinoza et, d'une autre façon, les Encyclopédistes porteront l'esprit de libre examen jusque dans les domaines de la politique et de la religion, et tenteront d'expliquer le monde par le monde.


  
  
  


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