Patrimoine  Spirituel  de l'Humanité

Le maire de Bordeaux


Montaigne : Le maire de Bordeaux

Pendant deux ans, Montaigne gère une ville catholique à tendance ligueuse, enclose dans la Guyenne, dont le roi de Navarre, protestant, est le gouverneur, tandis que le maréchal de Matignon, lieutenant général du roi de France, en dirige les armées contre les protestants. Diplomatie complexe pour qui veut sauver les fidélités féodales et l'ordre public. Son second mandat, en 1583-1585, est encore plus difficile. Il est probablement un des agents importants de discrètes négociations entre les deux rois. La grande épidémie de peste qui succède fait de lui un errant, mais n'empêche pas son rôle politique: Catherine de Médicis l'appelle aux conférences de Saint-Brice; Henri de Navarre loge chez lui le soir de la victoire de Coutras, le 20 octobre 1587; au mois de mai suivant, il est en mission auprès de Henri III quand les émeutes parisiennes le chassent de Paris; suspect, Montaigne se retrouve à la Bastille, mais est relâché le jour même sur l'intervention du duc de Guise; il est aux états de Blois, et contribue à maintenir Bordeaux dans l'obéissance au nouveau roi Henri IV. Toutefois, en 1590, il refusera de le rejoindre dans ses campagnes militaires, et passera les deux dernières années de sa vie malade et sédentaire. Montaigne soigne aussi ses Essais, dont la seconde édition augmentée paraît en juin 1588. C'est alors aussi qu'il fait la connaissance de Marie Le Jars de Gournay, une admiratrice de vingt-deux ans, qui, devenue sa «fille d'alliance», sera chargée par Mme de Montaigne et sa fille Léonor de surveiller la dernière impression posthume des Essais. L'écrivain meurt d'un ulcère à la gorge le 13 septembre 1592 à Montaigne.

La première analyse de soi-même

Les Essais, présentés dès l'«Avis au lecteur» comme une tentative de se peindre au vrai, paraissent à compte d'auteur, à Bordeaux, au printemps 1580. Huit ans plus tard paraîtra une version corrigée et enrichie. Mlle de Gournay, après la mort de l'écrivain, se chargera d'une nouvelle édition (1595), conçue à partir d'un exemplaire annoté de la main de Montaigne. Si celui-ci reste pour la postérité l'auteur des seuls Essais, il a aussi laissé, outre sa traduction de la Théologie naturelle de Sebond, des Lettres, qui sont perdues, et un Journal de voyage, oublié dans les papiers, puis retrouvé en 1770 et publié par Menier de Querlon; mais l'original, reperdu, n'est plus connu actuellement que par une copie du XVIIIe siècle, enfin republiée en entier. Étrange document à plusieurs voix et à plusieurs langues: d'abord un secrétaire qui parle de Montaigne à la troisième personne, puis Montaigne lui-même, en français puis en italien. Remarquable document, qui témoigne de la réalité concrète de l'Europe dans des observations fines sur les manières de vivre, les réactions et menus rituels des populations et des voyageurs, il illustre pleinement les réflexions des Essais sur le plaisir du voyage et le fruit qu'il y a à confronter sa pensée à celle des autres, dans la découverte de la relativité des coutumes.


L'épanouissement d'une sagesse

Les stoïciens (Zénon de Cition, puis Chrysippe, Sénèque, Épictète et Marc Aurèle) conseillent de vivre en tenant compte avant tout du fait que le passé et le futur n'existent pas, que seul le présent existe, qui, dans le moment que nous le vivons, ne peut pas être autre qu'il n'est. Aussi l'homme doit-il s'endurcir contre la douleur. La Boétie a révélé à Montaigne le stoïcisme, dont il fera une règle de vie qui l'aidera, précisément, à supporter la perte de son ami et la crainte de la mort: «Le goût des biens et des maux dépend en grande partie de l'opinion que nous en avons.» C'est paradoxalement par épicurisme, c'est-à-dire pour mieux souffrir, que cet homme sensible se fait stoïcien, avant d'être tenté par le scepticisme. Le mot vient du grec skeptikos, «qui observe» – sans se prononcer. Le sceptique ne dit jamais que quelque chose «est» ou «n'est pas». Il parle de la façon dont les choses lui apparaissent, mais se garde d'affirmer ou de nier qu'elles soient comme elles lui apparaissent. Il n'exprime donc que son propre état mental. «C'est moi que je peins», dit Montaigne, qui fait graver sur les poutres de sa «librairie», entre autres maximes latines et grecques, des citations de Pyrrhon, le fondateur du scepticisme: «Je ne décide rien»; «Sans pencher d'aucun côté»; «Nul homme n'a su ni ne saura rien de certain». Mêlant finalement stoïcisme, épicurisme, scepticisme et expérience personnelle, Montaigne devient un sage, l'inventeur d'un véritable art de vivre: «Il n'est rien si beau et si légitime que de faire bien l'homme et dûment.»


  
  


Source : Données encyclopédiques, copyright © 2001 Hachette Multimédia / Hachette Livre, tous droits réservés.

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