Patrimoine  Spirituel  de l'Humanité


Kant :

Selon la morale kantienne, il faut et il suffit que chacun fasse librement son devoir propre à l'être raisonnable, qu'il l'accomplisse à la place qui lui est dévolue, si modeste soit-elle, pour que soient taries à leur source la violence et l'injustice. En ce sens, chacun est responsable de l'humanité (entendue cette fois comme la qualité proprement humaine de nos actes): l'individu n'est pas appelé à assumer cette responsabilité par quelque haut fait ou sacrifice qui lui serait commandé de l'extérieur (par Dieu ou par un parti), mais par l'accomplissement tranquille et quotidien de ses tâches.

Si le devoir paraît contraire à la nature, et parfois particulièrement pénible à accomplir, c'est que l'humanité n'est pas encore universellement considérée comme une fin. De sorte que, pour un sujet moralement autonome, qui ne manque pas de bonne volonté, l'obstacle majeur et véritablement infernal à la pratique du devoir est constitué par «les autres», ceux qui, n'agissant pas comme ils devraient, le placent, artificiellement, dans des situations contre nature, d'une perversité diabolique: c'est ce qui se produit lorsque, par exemple, quelqu'un est invité par un assassin à dénoncer, sous peine de mort, la cachette d'un ami qu'il poursuit pour le tuer. De tels cas d'espèce, heureusement exceptionnels, ne doivent pas nous laisser enfreindre nos principes ni nous incliner au mensonge. Il reste seulement à espérer, en l'occurrence, que, en nous refusant à mentir, nous ne déterminerons pas la perte de notre ami.

Les concepts de finalité et de beauté


Le sujet moral légifère donc souverainement. Or la nature (en nous et hors de nous) contrarie généralement la recherche de ce qu'on nomme communément le bonheur (qui, selon Kant, n'est qu'un «idéal de l'imagination»). Elle exige parfois même le sacrifice de notre intérêt personnel. Mais il suffit qu'elle ne s'oppose pas absolument à l'accord du vrai bonheur avec la moralité – accord qui constitue le souverain bien – pour pouvoir admettre que la finalité est inscrite dans la nature et que «rien n'existe en vain».

La critique du jugement


Découvrir cette finalité par l'analyse du jugement esthétique (qui porte sur le beau et le sublime) et du jugement téléologique (qui porte sur l'organisation des êtres vivants), tel est l'objet de la Critique du jugement. Ce troisième ouvrage de la «philosophie critique» comble l'intervalle entre les deux premiers. Il relie le domaine de la causalité naturelle à celui de la liberté morale en réconciliant théoriquement la pratique de la moralité avec les fins de la nature, notamment grâce au concept de la finalité. De l'analyse du jugement esthétique, Kant tire quatre conclusions: premièrement, le beau est l'objet d'une satisfaction désintéressée; deuxièmement, le beau est ce qui plaît universellement sans concept; troisièmement, le beau contient une finalité, mais sans la représentation d'une fin; quatrièmement, le beau est reconnu comme l'objet d'une satisfaction nécessaire.

Le sens commun (sensus communis), qui est à l'œuvre dans les jugements esthétiques et téléologiques, ne saurait être confondu avec la raison (Vernunft), bien que celle-ci présente également un caractère universel. Certes, la «raison froide» est commune à tous les hommes, et elle constitue l'unité universelle du genre humain. Mais le sens commun apporte quelque chose de plus: il révèle, à son tour, que les hommes font partie d'une communauté fraternelle et chaude, réunis dans la perception subjective de la beauté et de la finalité dans la nature.

Nature et histoire


La finalité a été chassée de la science, mais, d'abord introduite subjectivement par le sentiment du beau, nous la retrouvons intacte dans la nature, notamment lorsque nous considérons les organismes vivants: ceux-ci ne sont pas seulement des machines détenant une force motrice, «ils possèdent une énergie formatrice qu'ils communiquent même aux matières qui ne la possèdent pas et qu'ils organisent».

Cette double lecture – esthétique et téléologique – de l'organisation de la nature permet de déceler un plan caché en elle, et d'accorder un sens à l'histoire de l'humanité, remplie pourtant de bruit et de fureur. En effet, les conditions de possibilité existent pour que des êtres raisonnables et libres goûtent pleinement la beauté des choses, notamment en consentant à vivre sous la seule autorité de la loi morale universelle. L'exigence rationnelle du droit devrait donc l'emporter finalement sur la violence. Et ce succès ne peut être que final, car si la nature avait voulu le bonheur immédiat de l'individu, elle l'aurait doté de l'instinct et non de la raison. En faisant de nous des êtres de raison et de sentiment, des sujets «d'une insociable sociabilité», elle nous a organisés en vue de cette tâche grandiose qu'est l'institution de l'humanité.

La philosophie de Kant s'achève ainsi en une pensée politique qui considère l'histoire humaine, en dépit des apparences, comme un champ placé sous l'égide de la moralité et ouvert à la réalisation d'un grand dessein, à savoir «l'établissement d'une société civile administrant le droit de façon universelle».


  
  
  


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