Patrimoine  Spirituel  de l'Humanité


William Shakespeare :

La comédie met le monde à l'envers pour faire renaître l'harmonie. Les femmes se déguisent en hommes. À l'instar des comédies de Plaute, substitution et dualité parcourent celles de Shakespeare: les jumeaux (la Comédie des erreurs, la Nuit des rois), les doubles (les Deux Gentilshommes de Vérone, les Deux Nobles Cousins), la femme qui se substitue à une autre dans le lit d'un amant volage (Tout est bien qui finit bien, Mesure pour mesure). Sous l'effet du philtre d'Obéron et des métamorphoses d'Ovide, l'un devient l'autre dans le Songe d'une nuit d'été. La magie se découvre n'être que les stratagèmes du théâtre. Le mensonge sert la vérité, que ce soit pour dénoncer le jovial Falstaff (les Joyeuses Commères de Windsor) ou le sinistre Malvolio (la Nuit des rois). La mort est feinte, et l'héroïne calomniée ressuscite (Beaucoup de bruit pour rien). Parce qu'elle met en scène le langage, la comédie, tout en se nourrissant du tragique, en esquive les tourments. Elle trouvera son épanouissement dans les drames romanesques.

La légitimation du pouvoir
William Shakespeare n'a pas suivi la chronologie en écrivant ses pièces historiques. Avec Henri VI et Richard III, il commence par la fin, comme s'il voulait d'abord raconter l'arrivée des Tudor au pouvoir pour en analyser ensuite les causes. Situant son œuvre historique entre 1199 (avènement de Jean sans Terre) et 1547 (mort de Henri VIII), il fait revivre l'histoire des Plantagenêts et des Tudor, du Roi Jean à Henri VIII .

Le schéma médiéval de la chute des princes structure ses drames historiques. Ce genre controversé depuis Aristote – la vérité est-elle dans la poésie ou dans l'histoire ? – et bientôt condamné, servant à la propagande des Tudor, permet au poète – qui s'inspire de l'Historia regum Britanniae, de Geoffroi de Monmouth (vers 1100-1155) et des Chroniques d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande (1577), de Raphael Holinshed – de relier la didactique médiévale à la réflexion politique de la Renaissance. Lorsque Shakespeare met en scène la guerre des Deux-Roses (1455-1485), Machiavel a déjà écrit le Prince. La question centrale est celle de la morale en politique. La première tétralogie (les trois parties de Henri VI et de Richard III) tente d'expliquer la naissance du tyran, tandis que la seconde (Richard II, les deux parties de Henri IV et Henri V) décrit l'avènement du héros national. Chaque tétralogie se termine par un mariage pour souligner le retour de l'harmonie. Fasciné par le thème du double, William Shakespeare exploite en la poétisant la théorie des deux corps du roi, faisant de ces fresques historiques une réflexion sur le pouvoir et la légitimité que l'on reconnaîtra dans les tragédies qui vont suivre.Tragédies et drames romanesques
On ne peut réduire l'œuvre tragique aux schémas de la tragédie à la Sénèque et de la tradition du De casibus virorum illustrium, de Boccace. Par l'ampleur de sa vision et de sa cohérence thématique, William Shakespeare renouvelle la tragédie.

Des héros dévorés par le temps
On peut opposer les six tragédies gréco-romaines – inspirées pour la plupart des Vies de Plutarque (Jules César, Antoine et Cléopâtre, Coriolan, Timon d'Athènes) – aux cinq tragédies qui tirent leur substance narrative de contes italiens (Roméo et Juliette, Othello) ou de chroniques historiques ou légendaires (Hamlet, le Roi Lear, Macbeth).

Des sombres forêts de Titus Andronicus, où Lavinia, violée, la langue arrachée, réinvente des moyens d'expression, aux tribunes bavardes des orateurs de Jules César et de Coriolan, dont le héros refuse les facilités, aux camps de la guerre où les actes sont d'abord des paroles (Troïlus et Cressida, Antoine et Cléopâtre) jusqu'au rivage muet où meurt le misanthrope Timon, ses tragédies gréco-romaines étudient le rapport du langage au corps, au pouvoir, à l'acte de guerre. Les cinq grandes tragédies mettent en scène leurs héros face à un destin qui prend une forme toujours ambiguë – fantôme (Hamlet), paroles mensongères (Othello, Macbeth) , mélancolie trompeuse (Roméo et Juliette), silence ambivalent (le Roi Lear) –, qu'ils cherchent à matérialiser sans la patience que leur donnerait la foi en la Providence. Ils seront dévorés par le temps, puis l'ordre renaîtra.

La magie ou la Providence ?
Les drames romanesques semblent être une fin heureuse à toute l'œuvre. Certes, il y a des espaces de la folie qui ressemblent à la lande de Lear dans la Tempête, où Caliban serait un pauvre Tom du Nouveau Monde. Mais si, dans les dernières pièces, William Shakespeare côtoie toujours la mort, il intègre les nouveaux courants de pensée, il purifie la magie de toute superstition, et semble croire en l'espoir d'une paix européenne concrétisée par le mariage d'Élisabeth Stuart avec l'Électeur palatin. L'amour y est à l'épreuve, que ce soit pour Ferdinand (la Tempête) ou pour Posthumus (Cymbeline); quant aux héros de Périclès et du Conte d'hiver, ils ne retrouvent l'amour qu'après de longues années. Les stratagèmes de conversion prennent des allures surnaturelles, comme la statue vivante de Perdita (le Conte d'hiver). Lorsque Thaïsa se réveille du sommeil de la mort (Périclès), le désespoir de Juliette est oublié. À l'aube de la guerre de Trente Ans, ces pièces font revivre la Renaissance élisabéthaine dans un langage nouveau.


  
  
  


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